La Symbolique du Bleu au cinéma

Publié le 7 février 2024 à 13:12

Le samedi 23 mars 2024, au cinéma Luminor Hôtel de Ville à Paris, aura lieu la deuxième édition du festival de courts-métrages Bleu Paris qui réunit des films ayant un rapport avec la couleur bleue. Au cinéma, cette teinte évoque plusieurs long-métrages qui ont marqué les spectateurs : les cheveux bleus de Kate Winslet dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind de Michel Gondry (2004) quand elle rencontre Jim Carrey ou d’Emma (Léa Seydoux), l’étudiante dont tombe amoureuse Adèle dans la Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche (2013), la peau bleue des Na’vis dans Avatar de James Cameron (2009), la robe bleue couleur du temps de Catherine Deneuve dans Peau d’âne de Jacques Demy (1970) ou encore le génie dans Aladdin des studios Disney (1992). Mais pour quelle symbolique ? Voyage haut en couleur entre histoire et septième art.

 

Extrait d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind de Michel Gondry


Revenons tout d'abord sur l’évolution du bleu dans notre société. Comment est-elle devenue la couleur préférée de la majorité de la population européenne alors qu’elle était mal aimée dans l’antiquité ? En avril 2015, l’historien médiéviste Michel Pastoureau, spécialiste de la symbolique des couleurs, donnait un cours de cinéma au Forum des Images à Paris. Ce mot ne vient pas du latin mais le terme est germanique (blau) et arabe (azur). Chez les Romains, le bleu est la couleur des Barbares. Avoir les yeux bleus dans la Rome antique, c’est dévalorisant. Personne ne s’habille en bleu. La promotion du bleu se fait en trois étapes. Au XIIe siècle, le ciel devient bleu alors qu’auparavant, on le peignait en doré, en blanc, en violet ou en noir. Cent ans plus tard, le roi de France, avec Philippe Auguste puis Saint-Louis, est le premier à s’habiller dans cette couleur. Les grands seigneurs font de même. La société aristocratique demande aux teinturiers de progresser dans la gamme de bleu. Bientôt, il devient omniprésent et devient un rival du rouge qui était la couleur préférée des Européens jusqu’alors. Au fil des siècles, le bleu poursuit son ascension. Au seizième siècle, au cours de la réforme protestante, les couleurs se distinguent entre deux catégories : honnête et déshonnête. Ainsi, il devient immoral de s’habiller de couleur trop vive (rouge, jaune, vert) et chercher à se faire remarquer. Au dix-huitième siècle, des pigments nouveaux diversifient la palette des bleus. A Berlin, on invente le bleu de Prusse. Le romantisme célèbre le bleu qui devient la couleur du rêve, du lointain, de l’infini, d’une mélancolie. Plus tard, en 1911, à Munich, Wassily Kandinsky crée avec Franz Marc le mouvement d’inspiration expressionniste Der Blaue Reiter (le cavalier bleu en français) autour de la couleur bleue. “Le bleu profond attire l’homme vers l’infini, il éveille en lui le désir de pureté et une soif de surnaturel ; c’est la couleur du ciel“, expliquait le peintre.

 

"Et je bois", Montmartre, Paris, 2016.

Il est donc naturel que le bleu envahisse aussi le monde du cinéma. Dans les titres de films d’abord : Le Grand Bleu de Luc Besson (1988), la Chambre bleue de Mathieu Amalric (2014), Le Bleu du Caftan de Maryam Touzani (2022), l’Ange bleu de Josef von Sternberg (1930) ou encore Blue Velvet de David Lynch (1986).

 

Mais aussi dans les scènes de certains long-métrages avec une valeur plus symbolique. Le bleu peut représenter l’apaisement, la quiétude, indique le critique de cinéma Luc Lagier dans un numéro de son émission de télévision Blow Up diffusée sur Arte. Dans le premier Mission Impossible de Brian De Palma, sorti en 1996, le bleu domine la scène finale. Après avoir échappé de peu à la mort, Ethan Hunt (Tom Cruise), tranquillisé, est habillé de bleu. Cette couleur est aussi présente dans le décor - les volets du pub-, ou sur les vêtements des passants.

 

Il peut aussi incarner tout l’inverse, le spleen, la dépression. Dans le dessin-animé des studios Pixar, Vice-Versa (2015), le personnage de la Tristesse est bleu. En 2010, dans les Amours Imaginaires, Xavier Dolan choisit une lumière bleue pour figurer la détresse de son personnage, Francis, alors que l’on entend la suite pour violoncelle en sol majeur de Jean-Sébastien Bach. De façon similaire, Woody Allen intitule son film Blue Jasmine (2013) en écho à sa protagoniste, en plein burn-out après avoir tout perdu financièrement et découvert que son mari était un escroc.

Extrait des Amours Imaginaires de Xavier Dolan

Dans cette continuité, le cinéma se sert de l’idée que le bleu est considéré dans notre société comme une couleur froide. Le bleu est la couleur froide au superlatif, au-delà du blanc, expliquait Michel Pastoureau. De fait, la mort au cinéma est souvent représentée par du bleu. Lors du naufrage du Titanic de James Cameron (1997), l’océan, les corps et les visages sont d’un bleu glacial. De même, dans Pierrot le Fou de Jean-Luc Godard (1965), Ferdinand Griffon, incarné par Jean-Paul Belmondo, se peint le visage en bleu avant de se suicider. La mer bleue constitue le dernier plan de ce film culte.

 

Extrait de Pierrot Le Fou de Jean-Luc Godard

Extrait de Dracula de Francis Ford Coppola

Enfin, des réalisateurs utilisent le bleu pour créer une ambiance anxiogène et angoissante. Dans le cinéma d’épouvante, on associe souvent le bleu, couleur de la nuit, au noir afin de rendre l’atmosphère encore plus inquiétante. C’est notamment le cas dans Nosferatu, fantôme de la nuit de Werner Herzog (1979). Le soir où Jonathan arrive pour la première fois au château du comte Dracula, les déclinaisons de bleu, du foncé au noir, frappent. Francis Ford Coppola a aussi le sens du détail dans son Dracula (1992) puisque les lunettes de soleil de son vampire, incarné par Gary Oldman, ont les verres bleus.


Notons que le bleu peut prendre une tournure mystérieuse sans pour autant avoir cette dimension sinistre. James Cameron a sélectionné ce coloris pour les personnages héros de sa saga Avatar. Sur la planète Pandora, les Na’vis sont des êtres à la peau bleue, couleur intrigante qui représente ici l’étrange, le rêve, le lointain.


Le bleu peut donc avoir une signification forte dans certaines productions cinématographiques. Récemment, la réalisatrice Mona Achache donnait au bleu un rôle prépondérant dans son quatrième long-métrage, Little Girl Blue, sorti le 15 novembre 2023 et nommé à trois reprises aux César 2024 (meilleure actrice, meilleur montage, meilleur film documentaire). Cette œuvre autobiographique raconte la vie de la mère de la cinéaste, l’écrivaine Carole Achache, interprétée par Marion Cotillard. Jointe par nos soins, la cinéaste nous a expliqué pourquoi elle avait opté pour cette couleur omniprésente dans Little Girl Blue :Le bleu comme le blues. Comme le bleu de mes yeux et ceux de Marion. Le bleu comme la mer. C’est une couleur douce, et je le voulais pour raconter cette histoire qui est si dure. Que la douceur triomphe”.

 

Rédigé par Nastassia Dobremez


Pour découvrir encore plus de bleu sur grand écran, rendez-vous le 23 mars 2024 au cinéma Le Luminor.

 


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